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L'épopée atlante
((( Le mythe de Phaéton (texte))))


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texte intégral (version française)
extrait du livre II des "Métamorphoses" d'Ovide

[ L'Océanide Clymène étant l'épouse de Mérops (qu'elle a trompé avec Phébus), Phaéton entretient de légitimes doutes sur sa filiation divine. Sa mère l'engage donc à en obtenir la confirmation de Phébus lui-même. ]

Si tu le désires, pars et interroge-le lui-même. " Aussitôt Phaéthon s'élance, tout joyeux des paroles de sa mère, la pensée toute pleine des régions éthérées; il franchit le territoire de ses Éthiopiens, l'Inde, qui s'étend sous les feux du grand astre, et il se dirige à la hâte vers les lieux où se lève son père.

( Au palais du Soleil )

Le palais du Soleil s'élevait sur de hautes colonnes, étincelant de l'éclat de l'or et du pyrope, semblable à la flamme; l'ivoire resplendissant en couronnait le faîte; sur la porte à deux battants rayonnait l'argent lumineux.

L'art surpassait la matière; car Mulciber y avait ciselé les flots, qui entourent la terre d'une ceinture, et le globe terrestre et le ciel qui s'étend au-dessus de ce globe.

Les eaux ont leurs dieux azurés, Triton à la conque retentissante, le changeant Protée, Égéon pressant de ses bras les dos monstrueux des baleines, Doris et ses filles . On voit les unes nager, les autres, assises sur un rocher, sécher leurs verts cheveux, d'autres voguer sur des poissons; sans avoir toutes le même visage, elles ne sont pas non plus très différentes. Elles se ressemblent comme il sied à des sœurs.

La terre porte à sa surface des hommes, des villes, des forêts, des bêtes sauvages, des fleuves, des nymphes et d'autres divinités champêtres de toutes sortes.

Au-dessus de ces tableaux sont figurés le ciel resplendissant et les signes du zodiaque, six sur le battant de droite, six sur celui de gauche.

Dès que le fils de Clymène a gravi la voie qui monte à ce palais et qu'il est entré dans la demeure de celui qu'il hésite à croire son père, il se dirige à pas pressés vers le visage du dieu; mais il s'arrête à quelque distance, car il n'en pouvait supporter l'éclat de plus près.

Vêtu d'un manteau de pourpre, Phébus était assis sur un trône tout brillant du feu des émeraudes.

A droite et à gauche se tenaient debout le Jour, le Mois, l'Année, les Siècles, les Heures, placées à des intervalles égaux, puis le Printemps, la tête ceinte d'une couronne de fleurs, l'Été nu, portant des guirlandes d'épis, l'Automne, souillé des raisins qu'il a foulés, et le glacial Hiver, hérissé de cheveux blancs.

( La funeste demande )

Au milieu d'eux, tandis que le jeune homme reste saisi de crainte devant ce spectacle merveilleux, le Soleil, de ces yeux qui voient tout, l'a aperçu : " Quel est, lui dit-il, le motif de ton voyage? Qu'es-tu venu chercher sur ces hauteurs, Phaéthon, ô mon fils, toi que ton père ne saurait renier? "

Il répond: " Ô commun flambeau du monde immense, Phébus, ô mon père, Si tu me permets de me servir de ce nom, Si Clymène ne cache pas sa faute sous une invention mensongère, donne-moi, auteur de mes jours, des gages qui attestent que je suis vraiment issu de toi et chasse le doute de mon âme. "

Il avait dit; son père déposa la couronne de rayons étincelants qui ceignait sa tête, lui ordonna d'approcher et, l'ayant embrassé : " Non, il ne serait pas juste, dit-il, que je te renie pour mon fils et Clymène t'a révélé ta véritable origine; pour dissiper tes doutes, demande-moi la faveur que tu voudras; je suis prêt à te l'accorder; je prends à témoin de ma promesse le marais par lequel jurent les dieux et que mes yeux n'ont jamais vu. "

A peine avait-il achevé que Phaéthon demande le char de son père et le droit de conduire pendant un jour ses chevaux aux pieds ailés.

Char solaire de Trundholm (Danemark) , art celtique, xiii  s. av. JC

( Les repentirs de Phébus )

Le père s'est repenti de son serment; secouant trois ou quatre fois sa tête lumineuse : " Tes paroles, dit-il, ont rendu les miennes téméraires. Que ne puis-je manquer à ma promesse! Je l'avoue, c'est la seule chose, ô mon fils, que je te refuserais.

Je puis au moins te dissuader; ton désir n'est pas sans danger; la tâche que tu demandes, Phaéthon, est grande; elle ne convient ni à tes forces ni à ton jeune âge.

Ton destin est d'un mortel, ton ambition d'un immortel.

Et encore il n'est pas permis aux dieux d'obtenir un tel honneur; dans ton inconscience, tu dépasses leurs prétentions; que chacun d'eux soit fier de sa puissance, j'y consens; mais aucun ne peut se tenir sur le char qui porte la flamme, excepté moi.

Même le souverain du vaste Olympe, dont la main terrible lance la foudre sauvage, ne conduira jamais mon char; pourtant qu'ai-je de plus grand que Jupiter?

( Les dangers du parcours )

La première partie de la route est escarpée et, le matin, mes chevaux, tout frais encore, ne la gravissent qu'avec peine; au milieu du ciel, elle est à une telle hauteur que moi-même, bien souvent, je ne vois pas sans crainte la mer et la terre et que mon cœur ému palpite d'effroi; la dernière partie est en pente, elle exige la direction d'une main sûre. Même alors, Téthys, qui me reçoit au-dessous dans ses ondes, a toujours peur que je n'y sois précipité.

Ajoute que le ciel est emporté par un tourbillon incessant, qu'il entraîne les astres élevés et les fait tourner à une vitesse vertigineuse. Mes efforts ont un but opposé; je n'obéis pas, comme tous les autres, à ce mouvement impétueux et j'accomplis ma course dans un sens contraire à leur rapide circuit.

Suppose que je te confie mon char; que feras-tu? pourras-tu lutter contre la rotation des pôles et empêcher que l'axe des cieux ne t'emporte dans son élan?

Peut-être t'imagines-tu trouver là-haut des bois sacrés, des villes habitées par des dieux, des sanctuaires pleins de riches offrandes; il faut avancer parmi des pièges et des figures de bêtes sauvages.

Quand même tu garderais ta direction sans te laisser détourner une fois de ta route, il te faudra passer entre les cornes du Taureau, dressées en face de toi, l'arc du Centaure Hémonien, la gueule du Lion féroce, le Scorpion, dont les bras terribles s'incurvent longuement, et le Cancer, qui incurve ses bras dans un autre sens.

Enfin mes chevaux, excités par le feu qu'ils portent dans leur poitrine, qu'ils exhalent par leur bouche et leurs naseaux, ne sont pas faciles à conduire; c'est à peine s'ils souffrent ma main, quand leur ardeur s'est allumée; alors leur tête résiste à mes rênes.

( Nouvelles tentatives pour convaincre Phaéton )

À toi maintenant, mon fils, de prendre garde que je ne t'accorde une funeste faveur; pendant qu'il en est temps encore, modère tes vœux.

Ainsi pour pouvoir te croire issu de mon sang tu demandes un gage certain? Je te donne un gage certain par ma crainte; mes alarmes paternelles prouvent assez que je suis ton père. Tiens, vois mon visage; et que ne peux-tu plonger tes regards dans mon cœur et y surprendre mes angoisses paternelles!

Enfin considère toutes les richesses que renferme le monde; entre tous les biens du ciel, de la terre et de la mer demande-moi celui que tu voudras; je ne te repousserai pas.

Je ne te refuse qu'une chose, qui, à vrai dire, est un châtiment et non pas un honneur; car c'est un châtiment, Phaéthon, que tu implores au lieu d'une grâce.

Pourquoi, insensé, enfermes-tu mon cou entre tes bras caressants? N'en doute pas; je te donnerai (Je l'ai juré par les eaux du Styx) tout ce que tu auras souhaité; mais toi, fais un souhait plus sage. "


( l'Aurore )

Là s'arrêtèrent les avis du dieu; cependant, rebelle à ce discours, le jeune homme persiste dans son projet et brûle du désir de monter sur le char.

Alors son père, après avoir tardé autant qu'il le pouvait, le conduit vers le char élevé, présent de Vulcain.

L'essieu était d'or, d'or aussi le timon, d'or les cercles qui entouraient les roues et d'argent toute la série des rayons; sur le joug, des chrysolithes et des pierreries régulièrement disposées renvoyaient à Phébus le reflet de sa lumière.

Tandis que Phaéthon au grand coeur admire tous les détails de cet ouvrage, voici que du côté de l'Orient qui s'éclaire la vigilante Aurore a ouvert sa porte empourprée et son atrium tout plein de la couleur des roses.

Les étoiles fuient; Lucifer rassemble leur troupe et descend le dernier de la garde du ciel. Quand le Titan l'a vu gagner la terre, le ciel rougir et les extrémités du croissant de la lune comme s'évanouir, il ordonne aux Heures rapides d'atteler ses chevaux.

Les déesses exécutent promptement ses ordres; des crèches célestes elles amènent les coursiers vomissant du feu, repus du suc de l'ambroisie, et elles ajustent les freins sonores.

( Derniers conseils )

Alors le dieu répand sur le visage de son fils une essence divine qui doit lui permettre de défier la flamme dévorante; il couronne de rayons la chevelure du jeune homme; puis, exhalant de sa poitrine inquiète des soupirs qui présagent son deuil, il lui dit: " Si tu peux obéir au moins à ces derniers conseils de ton père, ménage l'aiguillon, mon enfant, et use plus fortement des rênes; mes chevaux galopent d'eux-mêmes; la difficulté est de contenir leur ardeur.

Ne choisis pas pour ta route la ligne droite qui coupe les cinq zones; il y a un sentier tracé obliquement qui décrit une large courbe et qui, ne dépassant pas trois zones, évite le pôle austral et la Grande Ourse, unie aux aquilons; c'est par là qu'il te faut prendre; tu y verras les traces apparentes de mes roues.

Afin de distribuer au ciel et à la terre une chaleur égale, n'abaisse pas trop ta course et ne la pousse pas non plus par un trop grand effort vers les sommets de l'éther.

Si tu t'égares trop haut, tu brûleras les célestes demeures; trop bas, la terre; le milieu est pour toi le chemin le plus sûr.

Prends garde que tes roues, trop à droite, ne te fassent dévier vers les nœuds du Serpent; ou que, trop à gauche, elles ne te conduisent vers la région basse de l'Autel; gouverne à égale distance de l'un et de l'autre; j'abandonne le reste à la Fortune. Je souhaite qu elle te vienne en aide et qu'elle veille sur toi mieux que toi-même.

Tandis que je parle, la nuit humide a touché les bornes qui se dressent sur le rivage de l'Hespérie; nous ne sommes pas libres de tarder davantage; on nous appelle. L'Aurore a mis les ténèbres en fuite; elle brille. Prends les rênes en main, ou, si ton cœur est capable de changer, use de mes conseils et non de mon char, tandis que tu le peux et que tu es ici sur un terrain solide, tandis que tu ne foules pas encore cet essieu auquel aspirent tes vœux insensés.

Si tu veux que tes yeux jouissent en sûreté de la lumière, laisse-moi la dispenser à la terre. "

( Le char du Soleil à la dérive )

Phaéthon s'empare du char, bien léger sous ce corps juvénile; il s'y place debout, tout joyeux de toucher de ses mains les rênes qui lui sont confiées, et de là il rend grâce à son père, qui lui cède à regret.

Cependant les rapides coursiers du Soleil, Pyrois, Eoiis, Ethon et Phlégon, le quatrième, remplissent les airs de leurs hennissements et de leur souffle enflammé et ils frappent de leurs pieds les barrières.

À peine Téthys, ignorant la destinée de son petit-fils, les a-t-elle repoussées devant eux, à peine leur a-t-elle livré le ciel immense, qu'ils prennent leur essor; de leurs pieds agités dans les airs ils fendent les nuages qui leur font obstacle et, enlevés par leurs ailes, ils dépassent l'Eurus, né dans les mêmes régions.

Mais le char était léger; les chevaux du Soleil ne pouvaient le reconnaître; le joug n'avait plus son poids ordinaire. Comme des navires aux flancs recourbés vacillent, faute du lest nécessaire, et sont le jouet des flots qui les emportent, à cause de leur trop grande légèreté, ainsi le char, dépourvu de sa charge accoutumée, bondît au haut des airs; à ses profondes secousses on dirait un char vide.

Dès que le quadruple attelage s'en est aperçu, il se précipite, abandonne la piste battue et ne suit plus la même direction qu'auparavant. Phaéthon s'épouvante; il ne sait de quel côté tirer les rênes confiées à ses soins; il ne sait de quel côté est son chemin et, quand il le saurait, il ne pourrait commander aux coursiers.

Alors pour la première fois les étoiles glacées du Septentrion s'échauffèrent sous les rayons du soleil et tentèrent vainement de se plonger dans la mer qui leur est interdite.

Placé tout près du pôle glacial, le Serpent, jusque-là engourdi par le froid et sans danger pour personne, puisa dans la chaleur qui le pénétrait une rage inconnue.

Toi aussi, Bouvier, tu t'enfuis, dit-on, bouleversé, malgré ta lenteur et ton chariot qui te retenait.

Quand le malheureux Phaéthon, du haut de l'éther, jeta ses regards sur la terre qui s'étendait si bas, si bas au-dessous de lui, il pâlit; une terreur subite fit trembler ses genoux et les ténèbres, au milieu d'une si grande lumière, couvrirent ses yeux.

Maintenant il aimerait mieux n'avoir jamais touché aux chevaux de son père; maintenant il regrette de connaître son origine et d'avoir vaincu par ses prières; maintenant il voudrait bien être appelé le fils de Mérops.

Il est emporté comme un vaisseau poussé par le souffle impétueux de Borée, à qui son pilote a lâché la bride impuissante, l'abandonnant aux dieux et aux prières.

Que pourrait-il faire? Derrière lui il a déjà laissé un vaste espace du ciel; devant ses yeux un autre s'étend, plus vaste encore; sa pensée les mesure tous les deux. Tantôt il regarde au loin le couchant, que le destin lui interdit d'atteindre, tantôt il regarde en arrière du côté du levant; ne sachant à quoi se résoudre, il demeure stupide; il ne peut ni relâcher, ni serrer les rênes; il ne connaît pas les noms des chevaux.

Mille prodiges épars çà et là, dans les diverses régions du ciel, et des figures d'animaux monstrueux qui s'offrent à sa vue le font trembler d'effroi.

Il est un lieu où le Scorpion creuse ses pinces en deux arcs; fléchissant sa queue et ses bras arrondis de chaque côté, il couvre de ses membres l'espace de deux signes. Quand le jeune homme l'aperçut, tout dégouttant d'un noir venin, prêt à frapper de son dard recourbé, il perdit l'esprit et, glacé de crainte, il lâcha les rênes.

À peine sont-elles tombées, flottantes, sur la croupe des chevaux qu'ils sortent de la carrière; libres du frein, ils vont à travers les airs d'une région inconnue, partout où leur fougue les pousse, ils se ruent au hasard.

Ils s'élancent jusqu'aux étoiles fixées dans les hauteurs de l'éther et ils entraînent le char à travers les abîmes. Tantôt ils montent vers les sommets, tantôt par des descentes et des précipices ils tombent dans des espaces voisins de la terre.

Là Lune s'étonne de voir les chevaux de son frère courir plus bas que les siens.

( La Terre en feu )

Les nuages consumés s'évaporent; les flammes dévorent les lieux les plus élevés de la terre; elle se fend, s'entrouvre et, privée de sucs, se dessèche.

Les pâturages blanchissent; l'arbre brûle avec ses feuilles; la moisson déjà sèche fournit un aliment à son propre désastre.

Ce sont là les moindres sujets de mes plaintes; mais de grandes villes périssent avec leurs remparts; des territoires entiers avec leur population sont réduits en cendre par l'incendie.

Des forêts brûlent avec les montagnes; on voit brûler l'Athos, le Taurus de Cilicie, le Tmolus, l'Œta, l'Ida aride ce jour-là, mais jusqu'alors arrosé par de nombreuses sources, l'Hélicon, Séjour des vierges divines, l'Hémus, qui n'était pas encore la montagne d'Œagre. On voit brûler l'Etna, dont les feux, doublés de ceux du ciel, forment un brasier démesuré, le Parnasse aux deux têtes, l'Éryx, le Cynthe, l'Othrys, le Rhodope près d'être dépouillé de ses neiges, le Mimas, le Dindyme, le Mycale et le Cithéron, destiné au culte d'un dieu.

La Scythie n'est pas défendue par ses frimas; on voit brûler le Caucase et aussi l'Ossa avec le Pinde, l'Olympe, plus élevé que l'un et l'autre, les Alpes aux cimes aériennes et l'Apennin couronné de nuages.

Alors Phaéthon voit l'univers tout entier en flammes; il ne peut supporter une chaleur si violente; il respire un air embrasé comme par une fournaise profonde; il sent son char s'échauffer jusqu'à blanchir; les cendres et les étincelles lancées autour de lui deviennent intolérables et il est enveloppé de tous les côtés par une fumée ardente.

Où va-t-il? Où est-il ? Au milieu des ténèbres de poix qui obscurcissent ses regards, il n'en sait plus rien et il se laisse emporter par ses coursiers ailés.

C'est alors, croit-on, que le sang des peuples d'Éthiopie, attiré à la surface de leur corps, a pris sa couleur noire; c'est alors que la Libye, d'où l'incendie avait retiré toute humidité, est devenue si aride; alors aussi les nymphes, les cheveux épars, pleurèrent leurs sources et leurs lacs : la Béotie chercha Dircé; Argos, Amymone; Ephyre, les ondes de Pirène.

Les fleuves auxquels le sort a donné des rives largement séparées ne sont pas davantage à l'abri; on vit alors fumer au milieu de leurs eaux le Tanaïs, le vieux Pénée, le Caïque de Teuthranie, l'impétueux Isménus, l'Érymanthe qui baigne Phégia, le Xanthe, que le feu devait atteindre une seconde fois, le jaune Lycormas, le Méandre, qui se joue dans ses ondes sinueuses, le Mêlas de Mygdonie et l'Eurotas, voisin de Ténare.

On vit brûler l'Euphrate, qui arrose Babylone, brûler l'Oronte, le Thermodon rapide, le Gange et le Phase et l'Hister. L'Alphée bouillonne et les rives du Sperchius se sont embrasées; l'or que le Tage charrie dans son lit coule, fondu par les flammes.

Les oiseaux, hôtes du Caÿstre, qui faisaient retentir de leurs chants les rives Méoniennes, ont péri, consumés au milieu de leur fleuve. Le Nil épouvanté s'enfuit au bout de l'univers et y cache sa source, que nous ne connaissons pas encore; ses sept embouchures taries ne sont plus que des sables, sept vallées sans eau.

La même catastrophe met à sec, au pays de l'Ismarus, l'Hèbre et le Strymon; en Hespérie, le Rhin, le Rhône, le Pô et le fleuve à qui fut promis l'empire du monde, le Tibre. En tous lieux le sol est sillonné de fentes, par où la lumière pénètre dans le Tartare, remplissant de terreur le roi des enfers et son épouse; la mer se resserre; des plaines de sables arides remplacent ce qui était naguère l'océan; couvertes jusque-là par ses eaux profondes, des montagnes surgissent et augmentent le nombre des Cyclades éparses.

Les poissons descendent au fond des abîmes; les dauphins recourbés n'osent plus, suivant leur coutume, bondir au-dessus des vagues dans les airs; des corps de phoques, couchés sur le dos, flottent sans vie à la surface des mers. Nérée lui-même, dit-on, ainsi que Doris et ses filles allèrent se cacher au fond de leurs antres déjà tièdes.

Trois fois Neptune menaçant avait osé élever hors des eaux son visage et ses bras; trois fois il lui fut impossible de supporter l'air embrasé.

( Supplications de la Terre )

Cependant la Terre nourricière, environnée par l'océan, placée entre les eaux de la mer et les sources partout réduites, qui s'étaient cachées dans les entrailles impénétrables de leur mère, la Terre aride souleva jusqu'au cou seulement son visage oppressé; elle mit sa main devant son front et ébranlant tout par l'intensité de ses tremblements, elle s'affaissa un peu au-dessous de sa place ordinaire; puis, de sa voix sainte, elle s'exprima ainsi :

" Si tel est ton arrêt et si je l'ai mérité, pourquoi ta foudre reste-t-elle oisive, ô souverain des dieux?

Si je dois périr par le feu, qu'il me soit permis de périr par le tien et d'alléger mon infortune en songeant que tu en es l'auteur. C'est à peine si je puis entrouvrir ma gorge pour exhaler ces paroles (la chaleur lui avait fermé la bouche); tiens, regarde mes cheveux ravagés par la flamme, toute cette cendre brûlante qui couvre mes yeux et mon visage.

Est-ce là ma récompense, est-ce là le prix dont tu m'honores pour ma fertilité et mes bienfaits, moi qui supporte les blessures du soc recourbé et de la herse, moi qui me laisse travailler toute l'année, moi qui fournis aux troupeaux le feuillage, au genre humain des récoltes d'où il tire une douce nourriture, et à vous-mêmes de l'encens?

Mais pourtant suppose que j'aie mérité ma ruine : quel châtiment ont mérité les eaux et ton frère? Pourquoi voit-on les mers, que le sort lui a attribuées, décroître et descendre plus bas au-dessous des airs?

Si nous n'avons pas, ton frère et moi, assez de crédit auprès de toi pour te toucher, du moins aie pitié de ton ciel; regarde les deux pôles; tous deux fument déjà; si le feu les gagne, vos palais s'écrouleront.

Voici Atlas lui-même qui souffre et peut à peine soutenir sur ses épaules l'axe du monde incandescent.

Si la mer, si la terre, si le palais du ciel périssent, nous retombons dans la confusion de l'antique chaos.

Arrache aux flammes ce qui subsiste et veille au salut de l'univers. " La Terre n'en dit pas davantage; car elle ne put supporter plus longtemps la chaleur ni poursuivre son discours; elle retira sa tête dans son propre sein et dans des antres voisins des mânes.

( Jupiter se décide à agir )

Alors le père tout-puissant, ayant pris à témoin les dieux du ciel, même celui qui avait prêté son char, que le monde, s'il ne venait à son secours, allait périr victime d'un cruel destin, monte à ce sommet de l'empyrée d'où il a coutume d'étendre les nuages sur la vaste terre, d'où il agite le tonnerre, d'où il brandit et lance la foudre.

Mais alors il ne trouva point de nuages à étendre sur la terre, ni de pluies à répandre du ciel. Il tonne et, balançant la foudre du côté de son oreille droite, il l'envoie contre l'aurige; il lui enlève à la fois la vie et le char et arrête les progrès du feu sous ses feux terribles.

Les chevaux épouvantés bondissent en sens contraire; ils retirent leur cou du joug, brisent leurs harnais et s'y dérobent.

Ici gisent les rênes, là l'essieu arraché du timon; ailleurs sont épars sur un large espace les rayons des roues brisées et les restes du char mis en pièces.

Phaéthon, sa chevelure rutilante ravagée par la flamme, roule précipité à travers les airs, où il laisse en passant une longue traînée, semblable à celle que produit parfois une étoile au milieu d'un ciel serein, lorsque sans tomber en effet, elle peut paraître tomber.

Bien loin de sa patrie, dans l'hémisphère opposé, il est reçu par le grand Éridan, qui baigne son visage fimant.

Les Naïades de l'Hespérie déposent dans un tombeau son corps qui fume, consumé par la flamme aux trois dards, et elles inscrivent ces vers sur la pierre: " Ci-gît Phaéthon, conducteur du char de son père; s'il ne réussit pas à le gouverner, du moins il est tombé victime d'une noble audace. "

Le malheureux père, accablé de douleur, avait caché son visage sous un voile de deuil; s'il faut en croire la tradition, un jour s'écoula sans soleil; l'incendie seul éclaira le monde, qui trouva ainsi quelque utilité dans ce désastre.

(extrait de: OVIDE, Les Métamorphoses, éd. Gallimard, traduction de G. Lafaye, Folio classique 2404)

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