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L'épopée atlante
((( Petite anthologie atlante - 2 )))


Plan

 

 

Diodore de Sicile (1)
(Bibliothèque historique, Livre III)

Diodore de Sicile, historien grec du 1er siècle av. JC. a tenté, dans sa Bibliothèque historique, de retracer l'histoire des peuples, des origines aux premières années de l'Empire Romain. Son œuvre est généralement considérée comme péchant par son manque de rigueur et d'esprit critique. Diodore est cependant l'un des rares auteurs antiques, à avoir consacré quelques pages à l'Atlantide et à ce titre mérite toute notre attention. (Mais on peut se poser la question de savoir si, dans ces lignes, il parle bien de l'Atlantide originelle ou d'une "colonie" ... )

 
 

 

 

" LIV (….) les Amazones soumirent un grand nombre de Libyens et de nomades du voisinage et elles fondèrent à l'intérieur du lac Tritônis une grande ville qui fut appelée Chersonèsos à cause de sa forme. Utilisant cette ville comme base, elles entreprirent de grandes opérations, animées qu'elles étaient d'un ardent désir d'envahir de nombreuses parties de la terre habitée.

Leurs premières campagnes, dit-on, furent dirigées contre les Atlantes , les hommes les plus civilisés de ces régions, qui occupaient un pays prospère et de grandes villes; à ce qu'on affirme, c'est chez eux que la légende place la naissance des dieux, dans les régions proches de l'Océan, en accord avec les légendes grecques et nous parlerons de cela dans le détail un peu plus bas.

On raconte donc que Myrina, la reine des Amazones, rassembla une armée composée de trente mille femmes d'infanterie et de trois mille cavalières (dans les guerres, ce peuple cherchait plus particulièrement à utiliser la cavalerie). Comme armes défensives, elles utilisaient des peaux de grands serpents, les animaux de cette espèce étant en Libye d'une taille incroyable, et comme armes offensives, les épées et les lances, ainsi que des arcs, avec lesquels non seulement elles tiraient de face, mais encore, quand elles faisaient retraite, se retournant en arrière, elles décochaient avec sûreté des traits sur leurs poursuivants.

Ayant donc envahi le pays des Atlantes, elles vainquirent dans une bataille rangée les habitants de la ville appelée Cerné; et, après avoir poursuivi les fugitifs jusqu'à l'intérieur des murs, elles s'emparèrent de la ville. Désireuses de frapper de terreur les peuples voisins, elles traitèrent cruellement leurs prisonniers elles passèrent les hommes adultes au fil de l'épée et, ayant réduit les enfants et les femmes en esclavage, elles rasèrent la ville.

Comme le bruit du désastre des Cernéens s'était répandu auprès de tous les membres de ce peuple, on raconte que les Atlantes, terrorisés, livrèrent leurs villes par convention et promirent qu'ils feraient tout ce qu'on leur commanderait; alors la reine Myrina, les traitant avec modération, conclut avec eux un traité d'amitié et, à la place de la ville rasée, elle en fonda une autre en lui donnant son propre nom; elle y établit les prisonniers de guerre et tous ceux des indigènes qui le désiraient.

Comme, par la suite, les Atlantes lui offraient des cadeaux somptueux et lui votaient publiquement des honneurs considérables, elle accepta ces marques de leur attachement et promit en retour d'accorder ses bienfaits à leur peuple. (...)

LVI - LVII Mais, puisque nous avons fait mention des Atlantes , nous pensons qu'il ne sera pas hors de propos d'exposer en détail les légendes qui ont cours chez eux au sujet de la naissance des dieux, parce qu'elles ne diffèrent pas beaucoup de celles qui ont cours chez les Grecs.

Les Atlantes donc, qui habitent les régions qui bordent l'Océan et qui possèdent une terre prospère, passent pour différer de leurs voisins par une grande piété et une grande bienveillance envers les étrangers, et ils affirment que les dieux sont nés chez eux.

Et d'après eux, le plus célèbre des poètes grecs est également de cet avis, dans les vers où il fait dire à Héra : "J'irai, en effet, voir les limites de la terre fertile, Océan, de qui sont nés les dieux et Téthys, leur mère".

Les Atlantes racontent qu'Ouranos fut le premier à régner chez eux, qu'il rassembla dans l'enceinte d'une ville les hommes qui, jusqu'alors, vivaient dispersés et qu'il mit un terme à l'ignorance de toute légalité et à la vie digne de bêtes fauves que menaient ses sujets en découvrant l'usage des fruits cultivés, leur conservation et nombre d'autres choses utiles; il conquit aussi presque toute la terre habitée et, en particulier, les régions du couchant et du nord.

Devenu un observateur attentif des astres, il prédit beaucoup d'événements qui allaient arriver dans l'univers; il enseigna aussi à la foule à mesurer l'année par le cours du soleil et les mois par la lune et il lui apprit le retour annuel des saisons.

C'est pourquoi la multitude, qui ignorait l'ordre éternel des astres et qui admirait l'accord des événements avec les prédictions d'Ouranos, comprit que celui qui avait donné cet enseignement participait de la nature des dieux et, quand il eut quitté les hommes, elle lui attribua des honneurs immortels à cause de ses bienfaits et de sa connaissance des astres; elle transféra son nom à l'univers, autant parce qu'il semblait avoir eu connaissance intime des levers et des couchers des astres et de tous les phénomènes de l'univers que pour surpasser ses bienfaits par l'importance des honneurs et elle l'appela pour l'éternité roi de toutes choses.

Les Atlantes racontent aussi qu'Ouranos eut quarante-cinq enfants de plusieurs femmes et ils disent que Titaia mit au monde dix-huit d'entre eux, dont chacun avait un nom en propre, mais qui, tous, portaient, d'une dénomination générale , le nom de Titans d'après celui de leur mère. Titaia, à cause de sa sagesse et des biens nombreux dont les peuples lui étaient redevables, fut divinisée après sa mort sous le nom nouveau de Gé par ceux qu'elle avait comblés de bienfaits.

Ouranos eut également des filles, dont les plus célèbres furent de loin les deux aînées, qui s'appelaient l'une Basiléia et l'autre Rhéa, celle que certains nomment Pandore.

Parmi ces filles, Basiléia, qui était l'aînée, et qui l'emportait de beaucoup sur les autres à la fois par sa sagesse et par son intelligence, éleva tous ses frères en leur témoignant à tous une bienveillance maternelle : aussi fut-elle appelée la Grande Mère; quand son père fut passé des hommes aux dieux, elle accéda à son tour à la dignité royale avec l'assentiment de la foule et de ses frères, alors qu'elle était encore vierge et que, par un excès de sagesse, elle n'avait voulu s'unir à personne.

Par la suite, cependant, voulant laisser des fils pour lui succéder dans la dignité royale, elle s'unit à l'un de ses frères, Hypérion, qui était celui qu'elle préférait.

Comme deux enfants lui étaient nés, Hélios et Séléné , et qu'ils étaient admirables tant par leur beauté que par leur sagesse, on dit que ses frères, jaloux de son bonheur de mère et effrayés à l'idée qu'un jour, Hypérion ne détournât la royauté à son profit, accomplirent une action absolument impie : s'étant conjurés, ils égorgèrent Hypérion et noyèrent Hélios encore enfant en le jetant dans l'Eridan.

Quand ce crime fut dévoilé, Séléné qui aimait extrêmement son frère se jeta du haut du toit, et leur mère à tous deux, qui cherchait le corps de son fils le long du fleuve, fut victime d'une syncope et, ayant sombré dans le sommeil, elle eut une vision dans laquelle, lui sembla-t-il, Hélios debout près d'elle l'exhortait à ne pas pleurer la mort de ses enfants : les Titans recevraient le châtiment qu'ils méritaient et lui-même et sa sœur seraient transformés en êtres immortels en vertu de la providence divine; en effet, les hommes nommeraient Hélios ce qu'ils appelaient jusqu'alors dans le ciel feu sacré, et Séléné ce qu'ils désignaient auparavant par le mot "méné".

A son réveil, Basiléia raconta à la foule son rêve et les malheurs qui lui étaient arrivés, elle lui demanda d'attribuer aux morts des honneurs égaux à ceux des dieux et interdit que désormais l'on touchât à sa propre personne.

Par la suite, prise de démence, elle se saisit des jouets de sa fille qui pouvaient faire du bruit et elle se mit à errer à travers le pays, avec les cheveux dénoués et dans un transport divin qu'inspirait le bruit des tympanons et des cymbales, au point que les témoins étaient frappés de stupeur.

Comme chacun plaignait son malheur et que quelques-uns s'accrochaient à elle, il survint des pluies abondantes, accompagnées par des coups répétés de la foudre; alors Basiléia disparut et la foule, admirant l'événement, transféra Hélios et Séléné dans les astres célestes par la manière de les appeler et de les honorer, considéra leur mère comme une déesse et lui édifia des autels, et, imitant les événements de sa vie par le martèlement des tympanons, par le choc des cymbales et par tous les autres moyens, elle lui offrit en partage des sacrifices et les autres honneurs.

LX - LXI Après la mort d'Hypérion , la légende raconte que le royaume fut partagé entre les fils d'Ouranos, dont les plus illustres furent Atlas et Cronos.

Parmi ces fils, Atlas reçut en partage les régions proches de l'océan et, non seulement il nomma les habitants Atlantes, mais encore il appela pareillement Atlas la plus haute montagne du pays. On raconte qu'il était expert en astrologie et qu'il fut le premier à répandre chez les hommes la doctrine de la sphère; c'est pour cette raison que l'on croit que l'univers entier repose sur les épaules d'Atlas, cette légende signifiant la découverte et la description de la sphère .

Il eut un grand nombre de fils, dont l'un se distingua par sa piété, et par sa justice et sa bonté à l'égard de ses sujets; son nom était Hespéros. Or, un jour qu'il était monté au sommet du mont Atlas et qu'il y observait les astres, subitement il fut emporté par des vents violents et il disparut; et les foules, plaignant ce triste sort à cause de la vertu qu'il avait montrée, lui attribuèrent des honneurs immortels et appelèrent de son nom la plus brillante des étoiles du ciel.

Atlas engendra aussi sept filles qui, d'une dénomination générale, furent appelées Atlantides du nom de leur père, mais qui, en propre, reçurent les noms de Maïa, Electra, Taygété, Stéropé, Méropé, Halcyoné et, enfin, Célaïnô. S'étant unies aux plus brillants des héros et des dieux, elles furent à l'origine du genre humain, en enfantant ceux que leur vertu fit nommer dieux et héros : ainsi, l'aînée, Maïa, s'étant unie à Zeus, enfanta Hermès, l'auteur de nombreuses inventions utiles aux hommes; de la même façon, les autres Atlantides mirent aussi au monde des fils célèbres qui fondèrent, les uns des nations, les autres des villes. Aussi, non seulement chez quelques peuples barbares, mais également chez les Grecs, la plupart des héros les plus anciens font remonter à ces femmes l'origine de leurs familles.

Elles étaient aussi remarquablement sages, et, après leur mort, elles obtinrent un honneur immortel de la part des hommes, par lesquels elles furent à la fois établies dans l'univers et désignées sous le nom générique de Pléiades .

Les Atlantides furent aussi appelées Nymphes, parce que les femmes étaient communément appelées nymphes par les habitants du pays.

Quant à Cronos, qui était le frère d'Atlas et qui se faisait remarquer pour son impiété et pour sa cupidité, la légende rapporte qu'il épousa sa soeur Rhéa, qui mît au monde Zeus, celui qui, plus tard, fut appelé l'Olympien.

Mais il y avait eu aussi un autre Zeus, le frère d'Ouranos, qui régna sur la Crète et dont la renommée fut bien moindre que celle du Zeus qui naquit plus tard. Alors que ce dernier régna sur l'univers tout entier, l'aîné, qui fut le maître de l'île susdite, engendra dix fils, ceux qu'on nomme les Courètes; il donna aussi le nom de sa femme Idaia à cette île, où, en outre, il fut enterré après sa mort (et l'on montre encore de nos jours l'emplacement de sa tombe).

Cependant, les Crétois ont des légendes différentes de celles-ci, dont nous parlerons en détail dans la partie consacrée aux Crétois. Cronos, dit-on, fut le maître de la Sicile et de la Libye et encore de l'Italie, et, en un mot, il établit son règne sur les régions du couchant; partout, il tint solidement avec des garnisons les citadelles et les lieux sûrs de ces régions; c'est assurément pour cette raison qu'encore maintenant, en Sicile et dans les régions du côté du couchant, beaucoup d'endroits élevés sont nommés "croniens "en souvenir de lui .

Cependant, Zeus, le fils né de Cronos, s'efforça de vivre à l'opposé de son père, et comme il se montrait rempli d'équité et de bonté pour tous, le peuple lui donna le nom de père. Il accéda au trône, selon les uns, après que son père se fut retiré spontanément , mais selon les autres, parce qu'il fut élu roi par les foules qui haïssaient son père alors, comme Cronos. avait fait une expédition contre lui avec l'aide des Titans, Zeus remporta la victoire et, devenu le maître suprême, il parcourut toute la terre habitée en bienfaiteur du genre humain.

Il l'emportait tant par ses forces physiques que par l'ensemble de ses autres qualités, et c'est pour cela qu'il devint rapidement le maître de tout l'univers. En général, il mettait tout son zèle à châtier les impies et les méchants et à combler les foules de ses bienfaits. C'est ce qui lui valut, après qu'il eut quitté les hommes, d'être appelé Zeus (parce qu'il semblait que les hommes lui devaient de vivre bien) , et d'être installé dans l'univers par la vénération de ses obligés qui, tous, l'invoquaient avec enthousiasme sous les noms de dieu et de maître de tout l'univers pour l'éternité .

Tel est donc l'essentiel des récits que font les Atlantes au sujet des dieux."

(Les Belles Lettres éd. Traduit du grec par Bibiane Bommelaer)

 

 
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