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Claude Lorrain, "Départ d'Ulysse du pays des
Phéaciens", 1646
Musée du Louvre, Paris
Le pays
des Phéaciens
d'après l'ODYSSEE d'HOMERE
VIII ème s. av. JC
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L'Atlantide
d'après le CRITIAS de PLATON
IV ème s. av. JC
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Nausicaa présente
ainsi son pays à Ulysse:
nous habitons aux
extrémités de la mer onduleuse. (VI)
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L'Atlantide
est située au-delà des colonnes d'Hercule, au
fond de la mer Atlantique.
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Après avoir
quitté l'île de Calypso, Ulysse après dix-huit
jours de navigation entrevoit la Phéacie:
Et cette terre était proche, et elle
lui apparaissait comme un bouclier sur la
mer sombre. (V)
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L'Atlantide
est toujours présentée comme une île.
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Alors...
apparurent les
monts boisés de la terre des Phéaciens. (V)
et Ulysse dit encore:
le dix-huitième jour, les montagnes ombragées
de votre terre m'apparurent, et mon cher coeur fut joyeux.
(VII)
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Une
île couverte de forêts...
... tout
ce qu'une forêt peut fournir à ceux qui travaillent le bois, tout
cela l'île le procurait en abondance.
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Poséidon
ayant détruit son radeau, Ulysse ne voit pas comment il
va pouvoir aborder:
Les rochers
aigus se dressent, les flots impétueux écument de tous côtés et
la côte est escarpée (V)
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Une
île aux côtes escarpées...
On racontait
d'abord que la région entière était élevée et escarpée au-dessus
de la mer, tandis que tout le terrain autour de la cité était
plat. Cette plaine était elle-même entièrement encerclée par des
montagnes qui se prolongeaient jusqu'à la mer...
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Avec l'aide d'Athéna...
il nagea, examinant la terre et cherchant
s'il trouverait quelque part une plage heurtée par les flots,
ou un port. Et quand il fut arrivé, en nageant, à l'embouchure
d'un fleuve au beau cours, il vit que cet endroit était
excellent et mis à l'abri du vent par des
roches égales. (V)
Ulysse précise
la mer me jeta d'abord contre de grands
rochers, puis me porta en un lieu plus favorable; car je nageai
de nouveau jusqu'au fleuve, à un endroit
accessible, libre de rochers et à l'abri du vent. (VII)
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...dont
l'embouchure d'un cours d'eau naturel ou un canal interrompt l'escarpement
rocheux et permet de pénétrer à l'intérieur
de l'île...
Après avoir reçu les cours d'eau qui descendaient des montagnes,
(le fossé) faisait le tour de la plaine et, d'un côté comme
de l'autre, il rejoignait la cité pour aller à partir de là se
vider dans la mer.
ou:
Ils creusèrent en partant de la mer un canal (...) ils donnèrent
ainsi aux navires le moyen de remonter de la mer vers ce bras
de mer, comme vers un port, après y avoir ouvert un havre assez
grand pour permettre aux plus grands vaisseaux d'y pénétrer.
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Alors qu'Ulysse
dort, Athéna se rend à la ville...
parmi le peuple des hommes Phéaciens
qui habitaient autrefois la grande Hypériè, auprès des Cyclopes
insolents qui les opprimaient, étant beaucoup plus forts qu'eux.
Et Nausithoos, semblable à un Dieu, les emmena de là et les établit
dans l'île de Skhériè, loin des autres hommes.
(VI)
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Dans
cette île éloignée de tout...
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Et
il bâtit un mur autour de la ville,
éleva des demeures, construisit les temples des Dieux et partagea
les champs. (VI)
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...
la ville-capitale est à l'abri de son rempart circulaire
Or, cette
île, les anneaux et le pont , ils les entourèrent entièrement
d'un mur de pierre circulaire, avec des tours et des portes sur
chaque côté des ponts aux passages de la mer.
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Et
maintenant régnait Alkinoos, instruit dans
la sagesse par les Dieux (VI)
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...et
dirigée par des rois guidés par les dieux...
Mais le
pouvoir qu'ils ( les dix rois) avaient les uns sur les autres
et leur communauté était réglé d'après les instructions de Poséidon.
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Nausicaa explique
ensuite à Ulysse comment il va se rendre en ville et en
donne au passage une description assez précise:
...je montrerai le chemin ; mais quand
nous serons arrivés à la ville, qu'environnent
de hautes tours et que partage en
deux un beau port dont l'entrée est étroite, où sont conduites
les nefs, chacune à une station sûre, et devant lequel est le
beau temple de Poséidon dans l'agora pavée de grandes pierres
taillées ; - et là aussi sont les armements des noires
nefs, les cordages et les antennes et les avirons qu'on polit,
car les arcs et les carquois n'occupent point les Phéaciens,
mais seulement les mâts, et les avirons des nefs, et les
nefs égales sur lesquelles ils traversent joyeux la mer pleine
d'écume... (VI)
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Toutes
les descriptions de la capitale atlante dans le Critias font intervenir
des murailles, des tours, un port, un temple dédié
à Poséidon...
Or, cette
île, les anneaux et le pont , ils les entourèrent entièrement
d'un mur de pierre circulaire, avec des tours et des portes sur
chaque côté des ponts aux passages de la mer.
(...)
Au milieu même s'élevait le temple consacré à Clito et à Poséidon,
dont l'accès était interdit, entouré d'une clôture d'or
(...)
quant
au canal et au plus grand port ils regorgeaient de navires marchands
et de commerçants venus de partout, qui, en raison de leur nombre,
produisaient par leur conversation et par la diversité des bruits
qu'ils faisaient un vacarme assourdissant de jour et de nuit.
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Arrivé en
ville...
Ulysse admirait le
port, les nefs égales, l'agora des héros et les longues murailles
fortifiées de hauts pieux, admirables à voir. (VII)
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Les
alentours de la demeure des rois étaient disposés de la manière
suivante : quand on passait les ports extérieurs au nombre de
trois, on trouvait un rempart circulaire, commençant à la mer
et partout distant de cinquante stades de l'enceinte la plus vaste
et de son port.
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Nausicaa continue:
Nous trouverons auprès du chemin un beau
bois de peupliers consacré à Athéna. Une source en coule
et une prairie l'entoure, et là sont le verger de mon père et
ses jardins florissants, éloignés de la
ville d'une portée de voix. (VI)
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On
trouve aussi: un bois, une source...
Quant à l'eau courante, ils la conduisaient au bois sacré de Poséidon
(où il y avait toutes sortes d'arbres d'une beauté et d'une hauteur
divines, grâce à l'excellence de la terre), puis jusqu'aux anneaux
extérieurs par le moyen de canalisations le long des ponts.
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Ulysse arrive devant
le palais d'Alkinoos:
la haute demeure du magnanime Alkinoos
resplendissait comme Hèlios ou Sélènè. De solides murs d'airain,
des deux côtés du seuil, enfermaient la cour intérieure, et leur
pinacle était d'émail. Et des portes d'or
fermaient la solide demeure, et les
poteaux des portes étaient d'argent sur le seuil d'airain argenté,
et, au-dessus, il y avait une corniche d'or, et, des deux côtés,
il y avait des chiens d'or et d'argent (VII)
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...
et l'utilisation de métaux et matériaux variés
et colorés...
Et pour ce qui est des bâtiments, certains étaient simples, alors
qu'ils mélangeaient les pierres en construisant pour l'amusement
d'autres ensembles bariolés, en donnant aux constructions un aspect
naturellement plaisant. Le mur qui entourait l'anneau extérieur,
ils en recouvrirent tout le tour de bronze, comme en appliquant
un vernis ; celui de l'enceinte intérieure fut enduit d'étain
fondu ; et celui qui entourait l'acropole elle-même d'un orichalque
qui avait des éclats de feu.
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Et voilà
le jardin d'Alkinoos:
Et, au delà de la cour, auprès des portes,
il y avait un grand jardin de quatre
arpents, entouré de tous côtés par une haie. Là, croissaient de
grands arbres florissants qui produisaient, les uns la poire et
la grenade, les autres les belles oranges , les douces figues
et les vertes olives. (VII)
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L'Atlantide
ressemble également à un grand jardin...
De plus, les fruits cultivés, les fruits
séchés qui sont notre nourriture, et ceux dont nous nous servons
en outre pour notre farine (nous en appelons céréales toutes les
variétés), puis le fruit ligneux qui produit boissons, aliments
et onguents, puis celui encore qui sert à l'amusement et au plaisir,
le fruit à écorce difficile à conserver, ceux qui apaisent celui
qui souffre de l'abondance du repas du soir. Toutes
ces choses, l'île sacrée, qui était alors sous le soleil, les
produisait belles et merveilleuses, en quantité illimitée.
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Et
jamais ces fruits ne manquaient ni ne cessaient, et ils duraient
tout l'hiver et tout l'été, et Zéphyros, en soufflant, faisait
croître les uns et mûrir les autres ; la poire succédait à la
poire, la pomme mûrissait après la pomme, et la grappe après la
grappe, et la figue après la figue.
Là, sur la vigne fructueuse, le raisin séchait, sous l'ardeur
de Hèlios, en un lieu découvert, et, là, il était cueilli et foulé
; et, parmi les grappes, les unes perdaient leurs fleurs tandis
que d'autres mûrissaient. Et à la suite du jardin, il
y avait un verger qui produisait abondamment toute l'année.
(VII)
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Et
la fréquence des productions est tout à fait comparable
...
Et deux fois par année, on récoltait
les produits de la terre, en se servant des eaux de Zeus en hiver,
et en été de celles que donnait la terre, en dirigeant leurs cours
hors des canaux
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Et
il y avait deux sources, dont l'une courait à travers tout le
jardin, tandis que l'autre jaillissait sous le seuil de la cour,
devant la haute demeure, et les citoyens venaient y puiser
de l'eau. Et tels étaient les splendides présents des Dieux dans
la demeure d'Alkinoos. (VII)
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Et
toujours cette idée de double source...
S'agissant
des sources, celle au cours froid et celle au cours chaud, dont
le débit était abondant et inépuisable, elles étaient chacune
merveilleusement propre à l'usage grâce à l'agrément et à l'excellence
de leurs eaux.
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Quelques détails
encore...
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Alkinoos rappelle
aussi la prédiction qui a été faite autrefois::
Cependant j'ai entendu autrefois mon
père Nausithoos dire que Poséidon s'irriterait contre nous,
parce que nous reconduisons impunément tous les étrangers. Et
il disait qu'une solide nef des Phéaciens périrait au retour
d'un voyage sur la mer sombre, et qu'une
grande montagne serait suspendue devant notre ville. Ainsi
parlait le vieillard. (VIII)
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Certes,
on le sait, l'Atlantide fut détruite, et comme on le montre
par ailleurs, peut-être bien par la chute d'un astéroïde
...
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Peut-être ces choses s'accompliront-elles, peut-être n'arriveront-elles
point. Ce sera comme il plaira au Dieu.
(VIII)
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Zeus
aussi, à la fin du Critias, va exprimer son "bon plaisir"...
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Ulysse est sur
le départ, mais avant...
Au milieu d'eux, la Force sacrée d'Alkinoos
égorgea un boeuf pour Zeus Kronide qui amasse les nuées
et qui commande à tous. Et ils brûlèrent les cuisses, et ils prirent,
charmés, l'illustre repas (XIII)
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Et,
en Phéacie comme en Atlantide, le sacrifice du taureau
semble indispensable...
Celui des taureaux qu'ils (les dix
rois) avaient capturé, ils le conduisaient à la colonne et
l'égorgeaient à son sommet, contre l'inscription.
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( traduction
de Leconte de Lisle - XIXème s.) Les noms "Odysseus"
et "Poseidaôn" ont été rétablis
en "Ulysse" et "Poséidon"
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( traduction
de J.F. Pradeau pour la collection "Classiques en Poche"-
Les Belles Lettres, voir page "Liens et références")
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Pour résumer donc, l'Odyssée, comme le Critias, décrit
...
...une île située
très loin sur l'océan, "aux extrémités de la mer
onduleuse" et couverte de forêts. Cette île rocheuse
a des côtes très escarpées et on ne peut y aborder
qu'en des endroits bien précis, en particulier en se servant
de l'embouchure d'un fleuve (ou du débouché d'un canal)
qui forme un havre abrité des vents où les bateaux peuvent
accéder à un port. Cette île abrite un peuple d'excellents
marins qui ont la maîtrise des océans. Ils ont construit
une capitale renommée pour la qualité et la richesse de
ses constructions et bien fortifiée par une épaisse muraille
circulaire dont la défense est encore renforcée par la
présence de nombreuses tours. Au centre de la ville se trouve
le lieu le plus sacré de l'île, le temple de Poséidon
aux riches ornementations architecturales. En effet, depuis toujours,
les rois de l'île se considèrent comme étant de
la lignée de Poséidon, fondateur mythique de leur civilisation.
Le dieu est également honoré dans un bois tout proche
dans lequel coule une source sacrée. Faisant face au temple,
le riche palais du roi mélange lui aussi dans sa construction
les matériaux et les métaux les plus divers, les plus
rares et les plus colorés. Derrière ce palais s'étend
une grand verger dont la production est accrue grâce au savoir-faire
des habitants en particulier par leur maîtrise de l'irrigation.
Cependant, ce tableau idyllique est quelque peu gâché par
la connaissance d'une destruction inéluctable et imprévisible
contre laquelle, en sacrifiant aux dieux moult taureaux, on tente bien
vainement de se prémunir ...
(texte composé
à partir de tous les éléments communs trouvés
entre l'Odyssée et le Critias)
Finalement, on n'en sait pas bien plus
sur l'Atlantide par Platon que l'Odyssée nous en disait un demi-millénaire
auparavant! Contrairement à une idée reçue, Platon
ne serait donc pas le premier à avoir décrit cette île
et la tradition homérique (qui fixe des versions bien antérieures)
disait déjà l'essentiel. Si le nom change, cela ne doit
pas nous égarer, une telle avalanche de points communs ne
peut tout simplement pas être le fruit du hasard!
Soit Platon et le récit homérique
puisent à la même source, soit Platon s'est inspiré
de ce récit bien antérieur... Alternative devant laquelle,
à l'heure actuelle, rien, malheureusement, ne nous permet de
trancher de façon définitive...
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